top of page

Anne Brégeaut 

L'exposition Au pays du jamais-Jamais convoque des souvenirs d'enfance, ou plutôt des réminiscences d'un passé à la fois proche et lointain

qui se mêlent à ceux de l'âge adulte. Hier, au1ourd'hu1 et demain sont conJuguès au sein d'une oeuvre jouissive, sensible et troublante. On reconnaît

les icônes de plusieurs générations, Peter Pan, le Petit Chaperon rouge, Casimir. Elles traduisent une discrète désillusion, la fin de nos utopies enfantines L'oeuvre d'Anne Brégeaut fait appel à ses propres souvenirs mais aussi aux nôtres. Un dialogue visuel, sensoriel et mémoriel s'engage au fil du labyrinthe mental dans lequel elle invite à se perdre. Un partage silencieux jaillit. les constructions personnelles s'enchevêtrent. Au moyen d'une iconographie fantasmagorique et d'une palette chromatique irradiante, elle nous ouvre les portes d'un précieux trésor, celui d'une intimité partagée avec candeur et sincérité Elle explore et interroge un espace entre-deux où les rapports dichotomiques cohabitent, touJours mis en tension, par exemple entre réalité et f1ct1on, rêve et cauchemar, sourire et malaise, conscient et inconscient. Dans cet espace instable et insa1s1ssab1e, l'artiste instaure une série de décalages, d'1mpossib1l1tes ou, au contraire, une 1nfin1té de possibilités (la Mauvaise Direction). Le cerveau devient le motif et le sujet emblématique de l'exposition. Il ponctue le parcours du regardeur qui plonge au creux des méandres d'une réflexion riche et Jubilatoire.

Il est tour à tour monte sur roulettes et parsemé de sapins en plastique, envisagé comme une enclave domestique ou transformé enun paysage peuplé de touristes. Parallèlement. le motif de la maison fait écho à celui du cerveau. La vie privéeest exposée au sein de maisons fragmentées, impénétrables, inhabitables. Le foyer, symbole d'un monde rassurant, est 1c1 rendu inconfortable, inhospitalier. L'Heure bleue fonctionne sur une double contradiction.

la première d'ordre conceptuel puisque l'habitat ne protege plus et n'abrite que difficilement; la seconde est matérielle, la table en bois, coupée en deux par une paroi, est recouverte d'une épaisse couche de pâte à modeler noire. Au-dessus, deux tasses mobiles soulignent l'idée d'une communication impossible et que l'artiste souhaite rétablir en nous interpellant: "Nos souvenirs ont-lis réellement existé ? ". La récurrence des motifs de la route

et de l'île participe à la mise en oeuvre d'une mémoire objectivée et exposée. Les rêves et les souvenirs se sont échoués sur des îlots isolés les uns des autres (seulement en apparence). Une« poétique relationnelle » s'immisce entre eux, à l'image des Paysages oubliés, montés sur roulettes, ce qui implique qu'ils puissent être déplacés, mis en mouvement. Les îles dérivent et composent un archipel mémoriel et intime. En déployant dans l'espace les images d'une pensée mouvante, l'artiste résiste à une irrémédiable noyade, à un enlisement. Avec énergie et lucidité, elle défie l'oubli et la mort.

Julie Crenn, 2013, in ARTPRESS 398

    • Instagram
    • Facebook
    • LinkedIn
    bottom of page